L'OBLIGATION QUI INCOMBE À L'EMPLOYEUR DE FAIRE CESSER LE HARCÈLEMENT PSYCHOLOGIQUE
Depuis maintenant près de 18 ans, la Loi sur les normes du travail impose deux obligations à l’employeur, soit prévenir le harcèlement psychologique et prendre les moyens raisonnables pour faire cesser une telle conduite lorsqu’elle est portée à sa connaissance1.
L’obligation de faire cesser le harcèlement lorsqu’une telle conduite est portée à la connaissance de l’employeur est une obligation de moyens, et non une obligation de résultat2. Ainsi, dès qu’il est informé d’une situation potentielle de harcèlement, l’employeur doit intervenir rapidement, et ce, même si aucune plainte officielle n’a été déposée. Il doit également intervenir même si la personne plaignante lui demande de ne pas le faire3.
Mais pour s'acquitter de cette obligation, encore faut-il que le comportement ait été porté à la connaissance de l’employeur. L’omission d’un salarié de dénoncer la conduite reprochée à son employeur peut entraîner le rejet de sa plainte, tel que l’indiquait le Tribunal administratif du travail :
[17] Dans la décision Beaulieu c. 9015-6308 Québec inc. (Pizzeria Stratos Ste-Jeanne-d’Arc), le Tribunal réitère le principe voulant qu’un employeur ne puisse faillir à son obligation de faire cesser une situation perçue comme étant du harcèlement psychologique s’il n’en a pas été avisé ou informé au préalable : […] lorsque l’employeur n’est pas informé de la situation qui prévaut, on ne peut prétendre qu’il a failli à respecter les obligations qui lui incombent en vertu de la Loi […] Il doit, pour pouvoir agir, avoir été avisé de la situation.4 [Notre soulignement et références omises]
Lorsque l’employeur a pris les moyens raisonnables pour faire cesser une conduite dénoncée par un salarié, qu’il s’agisse de harcèlement ou d’une conduite qui, sans constituer du harcèlement, est inappropriée, et qu’une plainte ou un grief est déposé à l’encontre de cette conduite, cette plainte ou ce grief pourrait être rejeté, et ce, même si la preuve révèle qu’il y a effectivement eu du harcèlement ou une conduite inappropriée, puisque l’employeur qui s’est acquitté rapidement de son obligation ne peut en être tenu responsable.
Par exemple, dans l’affaire Unifor, section locale 6000 et Bell Canada5, la salariée avait déposé une plainte de harcèlement, dénonçant l’attitude condescendante, dénigrante et abusive de sa gestionnaire à la suite d’une absence-maladie. Une enquête interne a conclu en la présence d’une conduite inappropriée de la part de la gestionnaire, mais en l’absence de harcèlement. L’employeur a alors suivi les recommandations du comité d’enquête, suggérant que la gestionnaire suive certaines formations et que la salariée soit supervisée par un autre gestionnaire. L’arbitre a rejeté le grief et refusé d’accorder des dommages-intérêts à la salariée, puisque l’employeur avait adopté des mesures afin de faire cesser la situation dénoncée.
À l’inverse, l’employeur qui fait défaut de respecter son obligation de faire cesser le harcèlement lorsqu’une telle conduite est portée à sa connaissance en ignorant, par exemple, une plainte ou en ne lui accordant pas le sérieux requis, en ne réalisant pas une enquête sérieuse et approfondie ou en ne sévissant pas contre la personne visée par la plainte pourrait être condamné à verser des dommages moraux et punitifs à la personne plaignante, et ce, même si la personne mise en cause est un collègue de travail.
Par exemple, dans Syndicat de l’enseignement de la région de Québec et Commission scolaire de la Capitale6, une enseignante s’était querellée avec un collègue. Le jour même, ce dernier avait transmis un message texte menaçant au conjoint de cette dernière. À la suite d'une rencontre de médiation, l'employeur a lié la querelle à un conflit et il a demandé aux deux enseignants de se comporter de façon professionnelle. Aucune sanction disciplinaire n'a été imposée au collègue. La salariée a alors déposé une plainte, et l’enquête qui a suivi a révélé la présence de harcèlement. L’arbitre a conclu que l’employeur n’avait pas pris tous les moyens raisonnables pour faire cesser le harcèlement et il a accueilli la plainte.
Bref, nul besoin d’insister longuement sur le fait que l’intervention rapide et adéquate de l’employeur est essentielle face aux comportements inappropriés ou lors d’allégations de harcèlement psychologique. Même si l’obligation de l’employeur en est une de moyens, et non de résultat, il n’en demeure pas moins que c’est l’employeur qui doit prendre les mesures nécessaires pour prévenir et faire cesser le harcèlement psychologique lorsqu’il est porté à sa connaissance.
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1. Article 81.19 de la Loi sur les normes du travail
2. Unifor, section locale 6000 et Bell Canada, 2019EXPT-1629, 2019 QCTA 397, Me Nathalie Faucher
3. Brochu et 9139-8891 Québec inc., 2017EXPT-1410, 2017 QCTAT 3083, j.a. Annie Laprade
4. Toussaint c. 6781039 Canada inc., 2021EXPT-1094, 2021 QCTAT 2251, j.a. François Caron
5. Précité, note 2
6. 2019EXPT-1429, 2019 QCTA 319, Me André G. Lavoie