L’abstinence comme condition du maintien de l’emploi
Comme vous le savez sans doute, un employeur a l’obligation d’accommoder un salarié qui souffre d’une dépendance, et cette obligation cesse en présence d’une contrainte excessive. Toutefois, cette obligation n’incombe pas seulement à l’employeur : le salarié concerné et son syndicat, le cas échéant, doivent également collaborer afin de trouver un accommodement raisonnable. En matière de dépendance, le salarié doit avoir la volonté de résoudre son problème, puisqu’il est le seul maître de sa réhabilitation. Une participation de sa part est donc requise, et le salarié a la responsabilité de prendre tous les moyens pour guérir ou, à tout le moins, contrôler les effets de sa maladie afin de fournir une prestation normale de travail.
Lorsqu’une dépendance a un effet perturbateur sur la performance ou l’assiduité au travail d’un salarié, l’abstinence de ce dernier peut constituer le seul moyen lui permettant de fournir une prestation normale de travail. Dans ces circonstances, le salarié qui refuserait de cesser de consommer pourrait mettre en péril son lien d’emploi. À cet égard, nous vous référons à deux décisions qui démontrent qu’un salarié doit s’impliquer activement dans le processus d’accommodement lorsqu’il souffre d’une dépendance, et qu’il doit avoir la volonté de changer ses habitudes de consommation.
Dans la première décision, un col bleu souffrant d’une maladie psychiatrique et de dépendances à l’alcool et au cannabis contestait son congédiement1. Après avoir testé positif à un test de dépistage, le salarié a refusé de signer un protocole de dernière chance, car il entendait maintenir ses habitudes de consommation, ce qui a mené à son congédiement. Précisons que la Ville avait déjà accommodé le salarié pendant plusieurs années, lui permettant de suivre des cures ou de travailler avec des restrictions pour sa propre sécurité. L’arbitre a conclu que l’employeur pouvait exiger une abstinence totale de la part du salarié, puisque ses dépendances l’empêchaient de fournir une prestation normale de travail. Le refus du salarié de se soumettre à une telle abstinence laissant entrevoir un avenir aussi peu reluisant que le passé, l’arbitre a conclu que le maintien en emploi du salarié dans ces circonstances constituait une contrainte excessive, et il a maintenu le congédiement.
Dans la seconde décision, un préposé aux bénéficiaires ayant moins de deux ans d’ancienneté contestait son congédiement en raison de son absentéisme élevé et de son refus de cesser de consommer alcool et drogues2. La preuve médicale avait permis à l’arbitre de faire deux constats. D’une part, le salarié n’avait jamais eu de réelles intentions de contribuer à l’amélioration de son état de santé tout au long de sa période d’invalidité, puisqu’il rejetait les recommandations du psychiatre prescrivant l’abstinence à l’alcool et aux drogues. D’autre part, le salarié « n’a aucunement le désir ni l’intention de changer ses habitudes de vie dans le futur. Cela aussi, il l’a clamé haut et fort en audience ». Compte tenu de cette preuve, l’arbitre a conclu que l’employeur était justifié de croire que le mode de vie du salarié ferait en sorte qu’on pouvait s’attendre à des récidives fréquentes. Or, selon le psychiatre, c’est le mode de vie du salarié qui posait problème, puisque « le moindre coup de vent pourrait le ramener vers un trouble d’adaptation ». Le congédiement a donc été maintenu.
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1. Ville de Laval et Syndicat des cols bleus de la Ville de Laval, 2018EXPT-1821, 2018 QCTA 485,
Me J.-P. Lussier
2. Syndicat des employés du CHUM et CHUM, 2018EXPT-2140, 2018 QCTA 582, Me N. Massicotte