DROIT DE GÉRANCE ET TÉLÉTRAVAIL
Le télétravail, tout d’abord imposé par le gouvernement pendant la pandémie, fait maintenant partie de la réalité du travail. Selon un récent sondage réalisé par l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés, 37% des salariés sont actuellement en télétravail, soit 21% en mode hybride et 16% à temps plein, alors que 32% des organisations pourraient ou ont assurément l’intention de revoir leur mode de travail au cours de la prochaine année1.
Même si les lois du travail n’ont pas été élaborées pour ce mode de travail, elles s’appliquent au télétravail, et les tribunaux ont commencé à se prononcer, notamment sur la portée du droit de gérance de l’employeur. À cet égard, nous vous référons à deux décisions rendues au cours des derniers mois qui nous apparaissent intéressantes.
Dans la première décision, le Tribunal administratif du travail a confirmé que le droit de gérance de l’employeur lui permettait d’exiger le retour au travail de ses salariés en présentiel2. Dans cette affaire, un commis aux achats et à l’inventaire ayant 10 ans de service alléguait avoir été congédié sans cause juste et suffisante. L’employeur lui reprochait d’avoir refusé de revenir fournir sa prestation de travail dans son établissement, et ce, après avoir fait du télétravail en raison de la pandémie. Or, la preuve n’a pas permis de conclure qu’une entente avait été prise relativement à la permanence du télétravail. De toute façon, selon le tribunal, l’employeur disposait d’un droit de gestion lui permettant d’exiger le retour au travail de ses salariés. En conséquence, en refusant de fournir sa prestation de travail sur le lieu habituel de travail, le salarié a commis une faute. Toutefois, le tribunal a conclu que cette faute ne revêtait pas la gravité requise pour justifier un congédiement immédiat, d’autant plus que le salarié avait indiqué à l’employeur qu’il était prêt à discuter de la situation. L’employeur n’ayant pas démontré qu’il avait une cause juste et suffisante de congédier le salarié, la plainte a été accueillie.
Dans la seconde décision, l’arbitre a conclu que le droit de gérance de l’employeur lui permettait d’exiger que ses salariés en télétravail depuis le début de la pandémie soient présents à ses bureaux une journée par semaine3. En effet, selon cette dernière, à moins d’une mention dans la convention collective, le droit de déterminer le lieu où s’exécute le travail est un des attributs du droit de gérance. Or, la convention collective ne donne pas accès au télétravail en tout temps et ne contient aucune renonciation au droit de l’employeur de déterminer l’endroit où les salariés fourniront leur prestation de travail. Selon l’arbitre, l’employeur a exercé son droit de gérance dans le respect de la convention collective et d’une lettre d’entente et sa décision d’imposer la présence au travail à raison d’un jour par semaine est raisonnable compte tenu, notamment de son désir de développer sa culture d'entreprise et le sentiment d'appartenance de ses salariés. Ne s’agissant pas d’une décision précipitée et imposée sans motif ni considération, le grief a été rejeté.
Comme on le voit, en l’absence de dispositions concernant le télétravail dans une convention collective ou un contrat de travail, le droit de gérance de l’employeur lui permet de décider de quelle façon ses salariés fourniront leur prestation de travail.
Néanmoins, il est important de rappeler que divers enjeux juridiques sont reliés au télétravail, que ce soit en matière de santé et sécurité du travail, lors de l’adoption d’une politique encadrant le télétravail ou afin d’adapter certains modes de gestion à cette nouvelle réalité.