Harcèlement et droit de gérance
Depuis l’entrée en vigueur de la législation concernant le harcèlement psychologique, les tribunaux ont eu maintes occasions de se prononcer, tant sur ce qui constitue du harcèlement, que sur ce qui n’en est pas. C’est sur ce dernier aspect que nous désirons porter votre attention. En effet, il est maintenant clair que l’exercice raisonnable par l’employeur de son droit de gérance ne peut constituer du harcèlement psychologique.
Il importe cependant de rappeler la définition du harcèlement psychologique telle que prévue dans la Loi sur les normes du travail. Premièrement, il doit y avoir une conduite vexatoire se manifestant soit par des comportements, des paroles, des actes ou des gestes répétés qui sont hostiles ou non désirés. En l’absence de comportements répétés, une seule conduite grave peut aussi constituer du harcèlement. Ensuite, cette conduite doit porter atteinte à la dignité ou à l’intégrité psychologique ou physique du salarié de manière à entraîner pour lui un milieu de travail néfaste1.
Où se situe le droit de gérance dans tout cela? D’abord, le droit de gérance est une prérogative de l’employeur lui permettant de prendre des décisions pour des motifs liés à la gestion de son entreprise. Cela inclut une panoplie de décisions liées à la gestion des ressources humaines, tels que l’application de mesures disciplinaires ou administratives, le suivi et le contrôle des absences et l’encadrement de la performance des salariés. Malgré qu’il puisse parfois comporter certains inconvénients ou événements déplaisants pour un salarié, l’exercice normal du droit de gérance ne peut constituer pour autant du harcèlement psychologique à l’endroit de celui-ci.
Les tribunaux ont reconnu à l’employeur une vaste discrétion concernant la direction et le contrôle de son personnel, pourvu qu’il n’agisse pas de façon discriminatoire2. Cette discrétion s’étend même à excuser des erreurs commises de bonne foi dans la gestion du personnel3. De fait, dans certaines circonstances, il peut être prévisible qu’un gestionnaire perde patience, hausse le ton ou encore, intervienne de manière plus « sèche ». Ces écarts, quoique maladroits, ne transforment pas l’exercice légitime du droit de gérance en harcèlement psychologique.
La jurisprudence confirme qu’un employeur ne sera pas blâmé d’exercer du harcèlement psychologique lorsqu’il exerce correctement son droit de gérance, soit de manière respectueuse, normale et non dévalorisante pour le salarié. Afin de réduire le risque d’être visé par une plainte de harcèlement, vous devez avoir les bonnes personnes en place. Ainsi, nous n’insisterons jamais assez sur l’importance que vous devez accorder à la sélection et la formation des gestionnaires de premier niveau. Vous devez les sensibiliser à la gestion des ressources humaines et vous assurer qu’ils connaissent la portée de leur droit de gérance. De cette façon, même si vous n’éliminez pas complètement le risque qu’une plainte de harcèlement soit déposée contre un gestionnaire, tout au moins, vous maximisez grandement les chances qu’une telle plainte soit rejetée devant un tribunal.
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1. Article 81.18 Loi sur les normes du travail
2. Nzau et Sécurité des Deux-Rives ltée, 2013 QCCRT 529
3. Voir Leduc et Bic. inc., 2014 QCCRT 487 et Kaback et Pétro-Canada, 2014 QCCRT 97