Plaintes de HP : l’employeur, une victime collatérale
En matière de harcèlement psychologique, lorsqu’il est question de victime, on pense facilement à la personne qui allègue faire l’objet de harcèlement, ou encore à celle qui est faussement accusée de se livrer à du harcèlement. Or, on oublie souvent une victime collatérale de ces allégations: l’employeur. En effet, il est de plus en plus fréquent de voir des dossiers qui nécessitent de nombreux jours d’audition entraînant des frais exorbitants pour les employeurs. À titre d’exemple, nous vous référons à l’affaire Syndicat du personnel du Centre jeunesse de l’Estrie c. Turcotte1, alors que l’audience devant l’arbitre a duré 42 jours. Dans l’affaire Commission scolaire Marie-Victorin et Syndicat de l’enseignement de Champlain2, l’audience a duré 85 jours, alors que dans l’affaire Teamsters Québec – Local 1999 et Le Loews Hôtel Vogue3, elle a duré 40 jours. La situation devient encore plus problématique lorsque le salarié décide de se représenter seul.
Nous attirons particulièrement votre attention sur l’affaire Bangia et Avoman4, dans laquelle le juge administratif a accueilli une demande de rejet sommaire présentée par l’employeur à l’égard de trois plaintes de harcèlement psychologique, et ce, après 16 jours d’audience. Voici les faits :
- Un adjoint juridique a déposé trois plaintes de harcèlement psychologique contre son employeur.
- Au soutien de ses allégations, il a déposé un document de 47 pages référant à 92 événements survenus entre mars 2010 et janvier 2014, une liste additionnelle de 44 événements survenus entre avril 2013 et juillet 2014, et trois tableaux référant à 150 anciens et nouveaux événements. Précisons que, durant l’audience, le nombre allégué de harceleurs est passé de 5 à 27 personnes.
- Le salarié s’est représenté seul devant le tribunal. Sa preuve a duré 13 jours, son contre-interrogatoire a duré 2 jours et sa contre-preuve a duré une journée.
- L’interrogatoire du premier témoin présenté par l’employeur, soit le supérieur du salarié, a duré 3 heures. Par la suite, après 2 jours de contre-interrogatoire, le salarié a demandé une journée et demie additionnelle. C’est alors que l’employeur a demandé le rejet sommaire des plaintes.
Il est également important de mentionner que, chez son employeur précédent, le salarié avait déposé une plainte de harcèlement psychologique, en invoquant 50 événements, et que cette plainte avait été rejetée. De plus, le salarié avait déjà déposé une plainte de harcèlement psychologique contre son employeur actuel, alors qu’il invoquait 77 incidents. Cette plainte, qui avait nécessité 25 journées d’audience, a également été rejetée.
Dans ce contexte, le juge administratif a accueilli la demande de rejet sommaire de l’employeur, en concluant que le salarié ne satisfaisait pas aux caractéristiques de la «personne raisonnable » :
« [85] Le Tribunal conclut que le plaignant n’est pas cette personne raisonnable décrite par la jurisprudence. S’il fallait juger la réalité avec les yeux du plaignant, toute situation impliquant la moindre contrariété dans un milieu de travail serait une manifestation de harcèlement psychologique. Or, il est impensable que le législateur ait voulu ce résultat. »
Alors que le gouvernement analyse la possibilité de réviser la Loi sur les normes du travail, il nous apparaît impératif que ce dernier fixe les règles applicables au dépôt de plaintes de harcèlement psychologique et aux audiences en lien avec ces plaintes. En effet, il est de plus en plus fréquent de voir des audiences qui s’éternisent sur 20, 30, voire 40 jours, et celles-ci sont souvent interrompues par des procédures déposées par les salariés, telles que des requêtes en récusation ou en réouverture d’enquête.
Or, des audiences de telles durées entraînent des coûts astronomiques pour les employeurs, particulièrement dans le secteur privé, qui se voient imposer un fardeau que le législateur n’avait certainement pas souhaité, d’autant plus que dans plusieurs cas, comme dans l’affaire précitée, ces audiences ne règlent même pas toutes les problématiques impliquant le salarié.
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1. DTE 2016T-46, 2015 QCCS 5600.
2. SAE 8900, 2015-05-20, Me Jean-Pierre Villaggi, arbitre.
3. SA 11-04022, Me Bernard Lefebvre, arbitre.
4. 2016 QCTAT 7255 (DRT), Me Pierre Flageole.