QUAND LE CHAT N'EST PAS LÀ, LES SOURIS DANSENT ?
Lorsqu’un salarié s’absente du travail en alléguant un problème de santé, qu’il soit indemnisé par la CNESST pour une lésion professionnelle, par un assureur ou par l’assurance-emploi pour une invalidité personnelle, des rumeurs peuvent circuler, des soupçons se forger. Un employeur peut être tenté de valider l’état de santé allégué par le salarié… et par son fidèle médecin ! La filature apparaît comme la seule solution. Attention ! Des rumeurs, de vagues soupçons ne sont pas suffisants. La plupart des absences sont justifiées. De simples doutes pourraient parfois justifier une expertise médicale, comme première étape de validation. Il faut donc se poser les bonnes questions avant d’investir dans une filature : est-ce qu’elle est fondée sur des motifs rationnels ? Quel mandat confier et à qui ?
Pour être utilisée devant les tribunaux, la filature doit être motivée par des motifs rationnels, soit des motifs sérieux, et non par de simples doutes ou soupçons1. Elle doit aussi être conduite par des moyens raisonnables, en termes de lieux et de durée notamment. Prenons l’exemple d’un salarié absent pour une dépression majeure depuis six mois qui est identifié sur une publication Facebook en train de regarder son fils jouer au soccer. Cela semble bien mince pour appeler à une filature. Par contre, si un papa absent pour une entorse lombaire sévère entraîne activement son fils sur le terrain de soccer, c’est une toute autre histoire !
Quand la filature est justifiée, il faut s’adresser à des enquêteurs professionnels qualifiés. Ces enquêteurs seront appelés à témoigner devant les tribunaux si la filature mène à des décisions importantes telles qu’un congédiement, une fin des prestations versées par un organisme et même une réclamation de celles-ci au salarié. Ils devront démontrer avoir bien « dosé » l’intrusion dans la vie privée du salarié : ils filmeront dans des lieux publics ou encore où l’on peut apercevoir le salarié de l’extérieur, par exemple de la rue, alors qu’il tond sa pelouse. Ils ne chercheront pas les mises en scène pour amener le salarié à poser des gestes incompatibles. Pour une meilleure preuve, il est préférable de donner un mandat de filature pour quelques journées non consécutives. Un salarié pourrait plus facilement expliquer des activités incompatibles réalisées brièvement une journée que celles qui seraient répétées pendant quatre journées de filature étalées sur deux semaines.
Avant de prendre des décisions lourdes de conséquences à partir du résultat de la filature, il faut être certain que les activités soient vraiment incompatibles avec l’état allégué. Pour ce faire, vous devez transmettre la filature à votre expert et obtenir son opinion médicale sur le caractère incompatible ou non des activités exercées avec la condition médicale alléguée. Cette étape est cruciale : ne vous improvisez pas médecin ! Un avis clair et probant de votre expert pourrait justifier un congédiement sans avoir à passer par un processus d’arbitrage médical 2.
Bref, la filature n’est pas un mode de gestion des absences mais on ne doit pas s’en priver non plus lorsqu’il s’agit du seul moyen de vérifier un comportement qui peut apparaître frauduleux selon des faits et circonstances sérieuses. Il faut, par contre, agir selon les règles de l’art.
1. Syndicat des travailleurs(euses) de Bridgestone Firestone de Joliette (CSN) c. Trudeau, 1999 CanLII 13295 QC CA
2. Syndicat des travailleurs et travailleuses du CSSS Vallée-de-la-Gatineau c. CSSS de la Vallée-de-la-Gatineau, 2019 QC CA 1669.